Même si le CSE reste encore flou pour beaucoup, l’échéance des élections de l’instance unique se rapproche. Certains représentants du personnel commencent à se demander s’ils pourront limiter la baisse du nombre d’élus et négocier des représentants de proximité. Au salon CE de Lyon, nous avons même croisé une consultante RH sceptique sur l’élargissement de la négociation d’entreprise prévu par les ordonnances Macron.
Des fraises se promenant sur deux jambes, des gymnastes improvisant un spectacle entre deux allées, des prestataires d’activités sociales et culturelles, sans oublier consultants et experts : on voit de tout sur un salonsCE. De tout, sauf des employeurs. Normal : c’est un lieu destiné aux représentants du personnel. Mais Christine Boulay, qui dirige un cabinet de conseil en ressources humaines à Lyon, s’étonne de…notre étonnement lorsque nous commençons à échanger avec elle à l’issue d’une conférence animée jeudi 1er mars à Lyon par Manuela Montserrat, juriste de l’Appel Expert (*), au sujet des nouvelles possibilités de négociations offertes par les ordonnances Macron. « Vous savez, il n’est pas si rare que les employeurs veuillent aussi que les représentants du personnel soient bien formés pour leurs mandats. Si je suis ici, c’est parce que je considère que le dialogue avec les élus du personnel est important », nous répond-elle. Il faut dire que Christine Boulay est une ancienne DRH de l’Ofup (office universitaire de la presse) qui a créé, voici 20 ans, Aptitudes, un cabinet de conseil en ressources humaines basé à Lyon.
« Nous ne sommes pas encore prêts pour le CSE donc nous avons prorogé les mandats jusqu’à l’automne »
Organisée en DUP ancienne manière, le CHSCT restant autonome, la représentation du personnel de son entreprise, qui comprend des élus FO, CGT et sans étiquette, se donne encore quelques mois pour passer en CSE. « Nous ne sommes pas prêts, ni côté direction ni côté élus. Nous avons donc prorogé les mandats pour préparer un passage à l’automne 2018 », explique la cheffe d’entreprise. Du reste, c’est moins le CSE qui lui pose problème que la partie relative aux négociations dans les ordonnances Macron, comme elle nous le dit dans l’interview vidéo ci-dessus. « Avant, nous avions des repères clairs, dit-elle en faisant allusion à la hiérarchie des normes. Avec cette histoire de trois blocs comportant de nombreuses exceptions, c’est beaucoup moins évident. Il va falloir se demander pour chaque type de négociation quelles sont les possibilités et la hiérarchie entre le code du travail, la branche et l’entreprise », souligne-t-elle. Et la consultante, qui revendique de conseiller aussi bien les directions que les IRP, de soupirer : « Et encore, nous, c’est notre métier, nous accompagnons les entreprises sur ces sujets. Mais les PME qui n’ont pas de notion précise du code du travail, comment vont-elles s’y retrouver ? »
Des négociations qui se rapprochent
Il n’est pas sûr que tous les élus du personnel présents lors du salonsCE de Lyon aient tous en tête cette problématique d’accroissement du périmètre de la négociation dans l’entreprise. Ici, comme à Lille, les représentants du personnel se montrent d’abord préoccupés par le passage en CSE, qui reste souvent bien flou pour eux même si l’échéance se rapproche. C ‘est d’ailleurs un signe : les questions des élus et délégués se font parfois plus précises avec par exemple la possibilité d’obtenir par accord des représentants de proximité pour limiter la baisse du nombre d’élus. « Chez nous, les élections CSE, ce sera en novembre 2019. On devrait commencer les négociations en juin », nous dit Farid Belklani, secrétaire de la DUP et DS CFDT des ambulances oullinoises (170 salariés).
« Les sections syndicales qui redoutent le plus la perte de moyens avec le CSE sont celles des entreprises de plus de 500 salariés »
L’échéance du CSE est vue par la CFDT régionale comme un défi pour s’implanter dans les entreprises de moins de 50 salariés. Et au-dessus de ce seuil ? Didier Enault, qui tient le stand du syndicat, confie que les sections syndicales qui redoutent le plus de perdre des moyens sont celles des entreprises d’au moins 500 salariés. En deçà, dit-il, le fait que certaines entreprises soient déjà en DUP et qu’il y ait aussi pas mal de cumul de mandats change l’appréciation portée sur le changement représenté par le CSE, comme si le choc paraissait alors moins fort. Pour autant, nous explique Christiane, qui tient le stand voisin de la CFTC où passent de nombreux syndiqués venus se renseigner sur les dates des formations sur le CSE, beaucoup d’élus affichent leurs craintes.
Les craintes des élus ? « Avoir moins de temps de délégation »
Quelles sont les craintes des élus ? « Avoir moins de pouvoirs, avoir moins de temps de délégation, être moins pointus sur chaque thème traité auparavant en CE, DP et CHSCT », répond la militante. Jean-Christophe Guinet, secrétaire de la DUP Cifea Mkg à Rumilly (Haute-Savoie), paraît pour sa part moins inquiet, bien que son CE ne compte que 3 élus. Mais c’est parce sa société est organisée en scop (société coopérative de production) et que lui-même est très récemment devenu représentant du personnel : « Pour l’instant, nous avons un peu le nez dans le guidon. Nous devons nous former », dit ce cadre qui a déjà suivi une première initiation à son mandat.
« Chez nous, où les OS sont divisées, le CSE sera une catastrophe »
Mais d’autres élus ne sont pas sûrs du tout de parvenir à négocier de façon avantageuse avec leur employeur. Chez Europorte, une société de fret ferroviaire qui comporte 1 seul CE pour la France et 5 CHSCT, Gabriel Faure, représentant syndical CFDT au CE, se demande s’il sera possible d’avoir plusieurs commissions santé, sécurité et conditions de travail pour un seul CSE. Alors que les élections sont programmées pour le 18 octobre 2018, le représentant syndical craint une baisse drastique du nombre d’élus.
Même écho dans cette société logistique de Carrefour de 400 salariés : cet autre représentant du personnel de 52 ans, qui ne sait pas s’il se représentera, s’attend à une « catastrophe » pour le passage en CSE, prévu en 2019. Pourquoi ? « Nous avons dû mal à nous entendre avec les autres OS, et là, ça risque d’exploser », dit-il. Chez Nexans (2 400 salariés en France), nous explique Catherine Forest du CE de la Verbière (60 salariés en Isère), la négociation pour le passage en CSE va débuter et six réunions sont déjà programmées. Les 13 établissements verront leurs élections regroupées en février-mars 2019.
« A vous de choisir le dialogue social que vous voulez ! »
Ce dernier exemple confirme l’impression de Gilles Mondon, secrétaire régional de l’Unsa Rhône-Alpes Auvergne : beaucoup d’entreprises ont prorogé les mandats pour que les élections CSE se tiennent en 2019, entre juin et décembre précise-t-il. Il y a même des employeurs qui se seraient bien passés de ce CSE, assure-t-il en citant une PME agroalimentaire de 280 salariés : « Le nouveau directeur du site était attaché au CHSCT du fait des accidents fréquents. Il va devoir bien sûr passer en CSE, même si l’on peut aussi se demander ce qu’il adviendrait si une entreprise gardait des instances séparées. Je pense que dans cette entreprise, nous devrions pouvoir négocier des représentants de proximité supplémentaires et des moyens pour la commission santé, sécurité et conditions de travail ». Et le syndicaliste d’ajouter que ce ne sera pas le cas partout, des entreprises comme la SNCF affichant même des positions de début de négociation très « basses ». Demain, Gilles Mondon participera d’ailleurs à une table ronde organisée par l’ANDRH, l’association nationale des directeurs des ressources humaines. Il sait déjà ce qu’il dira aux DRH présents : « A vous de choisir le dialogue social que vous voulez ! » Autrement dit : mesdames, messieurs, donnez un minimum de moyens aux IRP…
(*) L’Appel Expert est un service de renseignement juridique par téléphone proposé par Les Editions Législatives, éditeur d’actuEL-CE.fr.
(texte et interview vidéo de Bernard Domergue)